Biographie de ZISKAKAN
François Bensignor 1996
Mené par Gilbert Pounia, poète, humaniste, musicien
et chanteur d'une grande beauté, Ziskakan continue d'ouvrir la
voie aux jeunes générations d'artistes
réunionnais.
Pour aborder cette magie de La Réunion qui habite chaque
anfractuosité de lave, chaque déferlement de
végétation, les odeurs entêtantes, les prodigieux
escarpements des mornes, les chutes d'eau, les torrents secs, les
plaines de cendres enveloppées dans l'instant par
l'armée des nuées fuyant vers les sommets des
cratères ocres, il n'est de meilleur guide que Gilbert Pounia,
l'âme de Ziskakan.
Personnage entier, intense, ce compositeur qui se voit "plus conteur
que chanteur" a hérité d'ancêtres Malbars, partis
de la côte sud-ouest de l'Inde pour faire souche à La
Réunion, une finesse de traits et un port souverain. L'homme
incarne magnifiquement l'identité métisse d'une
île encore inhabitée il y a trois siècles et
demi. Venus de tous les horizons d'Europe, de Chine, d'Inde,
d'Afrique et de Madagascar, les Réunionnais, aujourd'hui au
nombre de 600 000, ont contribué, par les divers apports de
leurs cultures respectives, à constituer progressivement cette
"créolité" de laquelle s'est nourrie la
spécificité culturelle insulaire qui s'épanouit
aujourd'hui.
Le phénomène est récent. Quand Ziskakan se
crée autour de Gilbert Pounia en 1979, il s'agit avant tout
d'un laboratoire d'étude pour la langue créole. La
société dominante de l'île n'y voit alors que
marginalité, comportement déviant, voire
rébellion indépendantiste. Depuis qu'en 1946 La
Réunion a obtenu le statut de département
français d'outre-mer, seul le "bon goût français"
a droit de cité à tous les plans de la diffusion
culturelle. Toute expression de la culture créole, dont le
maloya , musique qui accompagne traditionnellement les
réjouissances populaires, est rejetée,
méprisée. Mais une frange importante de la jeune
génération refuse de se laisser
déposséder de racines culturelles difficilement
forgées.
Ziskakan choisit les armes de la poésie et de l'action
culturelle. Gilbert Pounia qui fréquente les vieux
maîtres du maloya comme Granmoun Lélé, Firmin
Viry ou Lo Rwa Kaf, se bat contre le nouveau diktat des
discothèques, uvrant pour la renaissance du kabar
, rassemblement festif, informel, où l'on se retrouve
après les peines de la semaine autour du rouler ,
gros tambour que l'on chevauche, du bobre , arc muni
d'une calebasse résonateur, et du kayamb , cadre
de bois munis de deux rangées superposées de tiges de
canne à sucre remplies de graines rondes, pour chanter en
choeur et danser. Avec les Danièle Waro et autres Ti-Fock,
musiciens de sa génération animés du même
esprit, Ziskakan contribue à révéler au monde
des années 80 les valeurs de la culture créole
réunionnaise. Édition du magazine Sobatkoz, formation
du Groupe d'étude et de recherches créoles (Grec),
installation de la radio libre Ziskakan, spectacles de
théâtre, de poésie, de musique et de danse en
collaboration avec les associations de quartiers, aucun moyen n'est
négligé pour aider la population à retrouver
confiance en elle par la reconnaissance de ses racines.
Éducateur de rue dans les quartier
déshérités de Saint-Denis, centre urbain de
cette île département du bout du monde où un
cinquième de la population vit, à défaut
d'emploi, des subsides de l'État, Gilbert Pounia donne ce
qu'il a de meilleur en lui : l'écoute, l'ouverture, le
dynamisme, la foi en l'avenir. Son maloya teinté de rock
enrichit et modernise la palette musicale réunionnaise,
résonnant aux oreilles de la jeunesse comme un appel. Avec six
albums produits localement dans les années 80, Ziskakan ouvre
les portes aux groupes comme Zanzibar, Fenoamby, Persée Polis,
Sabouk, Zetwal Katrer ou Maloya Zone 7. Gilbert Pounia reste au
contact des plus jeunes, accompagnant ceux qui
bénéficient de l'opération CES
Musique , menée par le Conseil Général de
1990 à 1993. Trois cents musiciens bénéficient
ainsi d'un contrat emploi solidarité (CES) pour se former et
pratiquer leur art en groupe.
Au début des années 90, dans le contexte créatif
initié par les pionniers du nouveau son réunionnais, la
physionomie du marché musical de l'île se transforme
complètement. En l'espace de cinq ans, le nombre des points de
ventes de cassettes et de disques passe de 15 à 350. La
production locale frise les cent albums par an. Sur le modèle
antillais, longtemps chéri et jalousé, la musique
réunionnaise trouve enfin sa voix.
La reconnaissance arrive aussi de la métropole pour Ziskakan
avec Philippe Constantin, célèbre découvreur de
talent disparu début 96, qui offre au groupe un contrat lui
permettant d'aborder les scènes internationales. En 1994, dans
la foulée de l'album Kaskasnikola , Africa
Fête le programme sur sa tournée américaine aux
côtés de Angélique Kidjo. Les batailles finissent
par porter leurs fruits Sur le nouvel album, Soley
Glasé , l'amertume des combats semble avoir
stimulé la passion intérieure de Gilbert Pounia, qui
s'y révèle à son plus haut niveau d'expression,
complexe, secret, envoûtant.
François Bensignor
Discographie
Kaskasnikola (Mango/Island, 1994)
Soley Glasé (Sankara/Mercury, 1996)