RAY LEMA
François Bensignor juin 1997
Lors d'une rencontre à l'occasion de la Journée de
la Francophonie, Ray Lema s'entretient avec nous de ces passions et
derniers projets, ainsi que de son sentiment sur la tourmente
traversée par son pays, le Zaïre.
-- Vous avez multiplié les expériences orchestrales,
réalisant notamment deux disques, en 1992 avec les Voix
Bulgares de l'Ensemble Pirin', en 1993 avec la troupe Ki Yi M'Bock de
Were Were Liking. Où vous amène aujourd'hui cette
démarche de compositeur ?
-- Depuis deux ans, je travaille à l'écriture d'une
pièce pour un orchestre de 36 musiciens basé en
Suède dans la ville de Sundsvall, située sur la mer
Baltique à près de 500 km au nord de Stockholm. Les
jeunes instrumentistes de 19 à 25 ans qui le constituent en
majorité ont souhaité travailler avec un compositeur
capable de les emmener vers d'autres univers, plutôt que de
jouer un répertoire classique universellement connu et
interprété. En écoutant mon disque avec le
Professeur Stefanov et les Voix Bulgares, ils ont pensé que je
pouvais être la personne qu'ils cherchaient. Et ils m'ont
contacté.
L'orchestre est le plus bel instrument dont puisse rêver un
compositeur. La première répétition, au mois de
février 1997, a été un choc extraordinaire. Pour
la première fois de ma vie, je me suis retrouvé
à l'intérieur même d'un orchestre. Le son, le jeu
des timbres est tellement étonnant, que j'ai eu de nouvelles
idées et que je suis en train de réécrire des
passages entiers de la pièce. Les jeunes musiciens sont, eux
aussi, très emballés, parce qu'ils se rendent compte
que mon écriture ne ressemble pas du tout à
l'écriture classique. Pour moi, c'est un rêve qui se
réalise. Depuis que la "mode africaine" est passée, je
crois que nous, les artistes africains, devons fournir des uvres que
les Occidentaux puissent interpréter, afin de comprendre
l'essence de ce que nous recherchons. C'est vraiment le but de ma
démarche. Si, en tant qu'Africain, je parviens à amener
un peu de ce qui fait la spécificité de ma culture,
j'en serais très heureux.
-- Votre album "Green Light", sorti en 1996 a été une
révélation pour de nombreux mélomanes. Dans la
sobriété d'un piano à queue, accompagné
des seules voix de deux choristes, vous y dévoilez un aspect
très profond de votre personnalité. Qu'en est-il de
"Green Light 2", qui paraîtra au moment de votre passage sur la
scène du Théâtre de la Ville à Paris, les
29 et 30 avril 1997 ?
-- J'ai résisté longtemps à ceux qui me
conseillaient d'entreprendre l'expérience piano solo de "Green
Light". Pour moi, un Africain seul au piano, c'était la
caricature de l'intellectuel de service et je ne supportait pas
d'endosser cette image. J'était en pleine hésitation,
en plein doute et c'est pourquoi je l'ai conçu sous forme de
brèves esquisses. Mais la réaction du public a
été incroyable, je n'ai jamais reçu autant de
courrier ! J'ai compris qu'aujourd'hui les gens n'attendent plus d'un
musicien comme moi qu'il vienne leur prouver qu'il est Africain, ce
que j'ai vécu comme un grand soulagement.
Avec "Green Light 2", je me suis senti beaucoup plus libre. J'ai
conservé une orchestration simple : le piano, deux choristes
et une guitare électroacoustique qui apporte une touche
rythmique. J'y chante en français, en anglais et en lingala.
J'emploie le français pour dire des choses, en tant
qu'artiste, aux Africains. En 1996, trois missions m'ont
menées au Tchad, au Burkina Faso et au Bénin, où
j'ai été frappé d'une chose : alors que les
jeunes générations y parlent de leurs banlieues, de
leurs problèmes, parallèlement, on dirait que nous, les
artistes africains reconnus, sommes coincés dans une
clairière ensoleillée, ne voyant pas qu'en-dehors de
cette clairière il se passe des choses terribles. Ce n'est pas
normal. J'ai connu, j'ai vécu une autre Afrique. Lors de ces
missions, j'ai été confronté à des
situations qui relèvent presque du dessin animé,
tellement elles sont dures et grotesques. Il faut en parler et,
là-dessus, je m'engage de plus en plus.
-- La situation du Zaïre, en cette fin du mois de mars 1997,
doit vous toucher particulièrement. Comment l'analysez-vous
?
-- Je ne suis plus retourné dans mon pays depuis 1979. Je ne
pouvais pas y remettre les pieds, parce que je n'ai jamais su fermer
ma bouche et que j'ai toujours dit ce que je pense Au Zaïre,
nous vivions une situation sclérosée qui était
devenue un vrai scandale. Alors que le monde entier a
déjà jugé Mobutu comme un homme d'état
incompétent, un voleur et un dictateur, comment le
système international a-t-il pu le soutenir jusqu'au bout
?
Quelle genre d'éthique l'Occident peut-il défendre en
vendant aux Africains à la fois le couteau qui les tue et le
médicament qui soigne les blessures ? Sur les images de
guerres, on voit un armement ultra sophistiqué porté
par de pauvres gens qui n'ont pas même de souliers à se
mettre aux pieds. Cela veut bien dire qu'on leur donne ces armes
qu'ils n'ont aucun moyen d'acheter. Et qui leur donne ces armes ? Les
fabriquants d'armes ne sont pas des millions ! J'aborde ce sujet dans
mon nouvel album. Quant à la situation au Zaïre,
même si, dans un premier temps, ça va paraître
dur, je crois que ça ne peut qu'aller mieux.
François Bensignor
Discographie
1982 : Ray Lema (Celluloïd/Mélodie)
1983 : Kinshasa - Washington D.C. - Paris
(Celluloïd/Mélodie)
1986 : Médecine (Celluloïd/Mélodie)
1987 : Bwana Zulu Gang (Celluloïd/Mélodie)
1989 : Nangadeef (Mango/Island)
1990 : Gaia (Mango/Island)
1992 : avec le Professeur Stefanov et les Voix Bulgares de l'Ensemble
Pirin' (Buda Records/Ades)
1994 : Tout Partout (Buda Records/Ades)
1996 : Green Light (Buda Musique/Mélodie)
1997 : Green Light 2 (Buda Musique/Mélodie)