MORY KANTÉ
François Bensignor juin 1997
Dix ans après la sortie de son succès
planétaire, le griot guinéen a repris son
indépendance et construit un complexe culturel à
Conakry, la capitale de son pays.
1997 marquera le dixième anniversaire de la sortie de
"Yéké Yéké" . Cet air
irrésistiblement dansant s'est inscrit au sommet des
classements des hit-parades d'une douzaine de pays, dont les
États Unis, la Grande Bretagne, les Pays Bas (où son
succès démarra), l'Espagne (où il fut n 1),
l'Italie et la France (où la chanson fut couronnée par
les Victoires de la Musique 1988). Il éveilla
l'intérêt du grand public international pour les
musiques africaines, ouvrant la voie à ce que les marchands et
les médias nomment aujourd'hui la world music .
Il fut adapté en hébreu, arabe, chinois, hindi,
brésilien, anglais, espagnole. Celui que le grand public
découvrait à l'époque comme une "nouvelle
sensation des pistes de danses", était en fait un artiste
accompli fort expérimenté.
Avant même qu'il ne pousse son premier cri, en 1950, dans le
village d'Albadaria, près de Kissidougou au sud de la
Guinée, l'enfant était promis à la musique et
à la tradition du verbe. Le père de sa mère,
surnommé "le Proverbe" (Sanda ), n'était
autre que Djéli Mory Kamissoko, chef des griots des pays de
Kouranko et de Sankaran au Mali. Le vieil homme était si
puissant qu'il veillait aux destinées d'une troupe de soixante
griots, tous musiciens et chanteurs. Le père du petit Mory, El
Hadj Djelifodé Kanté, qui fut chef des griots de
Kissidougou, était lui-même assez âgé
à la naissance de ce fils, l'un des derniers de ses trente
huit enfants. Ainsi fut-il élevé par sa mère,
Fatouma, dans la pure tradition des griots. Ses premiers mots furent
chantés. Dès l'âge de trois ans, sa principale
aire de jeu fut la case des instruments de musique. À sept
ans, pour la première fois, il joue du balafon devant les
convives d'une fête. Après six ans d'école, sa
famille l'envoi à Bamako, chez sa tante la griote Manamba
Kamissoko qui fait partie de l'Ensemble National du Mali, afin de
poursuivre ses sept années d'initiation traditionnelle.
Son adolescence dans la capitale du Mali se déroule dans
l'euphorie de l'indépendance. De nouveaux sons affluent du
monde entier sur les ondes des radios : la rumba
congolo-zaïroise, les musiques cubaines, la soul music des
États Unis, la pop des Beatles, Johnny Hallyday et les
Yéyés français Mory Kanté s'est
entiché de la guitare et de toutes ces musiques qui font
danser les jeunes générations nées après
guerre. Vers dix huit-vingt ans, il se taille un certain
succès comme chanteur-guitariste de formations modernes,
jouant une sorte de soul-pop mandingue. C'est ainsi qu'il est
repéré par le chef d'orchestre du célèbre
Rail Band de Bamako, le groupe d'animation du très à la
mode Buffet de la Gare, qu'il intègre à la guitare et
au balafon en 1971. Son chanteur n'est autre que Salif Keïta et
lorsque celui-ci rejoint le groupe rival des Ambassadeurs,
l'année suivante, Mory prend le micro, confortant durant six
ans sa notoriété dans toute l'Afrique de l'Ouest.
À Bamako, il a aussi découvert la kora, bel instrument
originaire de la région du fleuve Gambie, qui ne se jouait pas
dans sa famille et que le grand Kélétigui
Diabaté est réputé avoir introduite au Mali.
Ayant reçu l'instrument en cadeau de l'autre grand
maître malien, Batrou Sékou Kouyaté, Mory en
deviendra bientôt un virtuose, inventant ce style moderne qui
lui est propre. En 1978, il s'installe à Abidjan, où il
s'entoure d'une formation d'excellents musiciens traditionnels. Ses
arrangements acoustiques de succès internationaux fera mouche
auprès des mélomanes. Parmi eux, Jacques Higelin, en
tournée africaine
C'est le signe du grand bon vers le "showbiz" du Nord. Mory
Kanté rejoint la France en 1984. Mais dans la ville
lumière, trouver sa place au soleil n'est pas si simple,
surtout sans carte de séjour Il doit repartir de zéro,
se faire connaître par de petits concerts chichement
payés. Sur son premier album enregistré à Paris
figure une version quasi traditionnelle de Yéké
Yéké . Puis en 1986, sa rencontre avec Philippe
Constantin, qui vient d'être promu à la tête de la
maison de disques Barclay, va décider de son destin. Trois ans
plus tard, un million de 45 tours et cinq cent mille exemplaires de
l'album Akwaba Beach ont été vendu. Le 14
juillet 1990, lors d'un concert à Central Park devant des
dizaines de milliers de New-yorkais, Mory Kanté
représente la France avec Khaled.
Dix ans après sa fulgurante percée, même si les
sorties de ses disques se font plus discrètes, Mory
Kanté continue d'enregistrer une musique de qualité,
alliant modernité et tradition, témoin
Tatebola , récemment paru.
François Bensignor
DISCOGRAPHIE
1981 - Courougnégné (Ebony, Côte d'Ivoire)
1982 - N'Diarabi (Balani/Mélodie, France)
1984 - Mory Kanté à Paris (Aboudou Lassissi/Barclay,
France)
1986 - Ten cola Nuts (Barlay, France)
1987 - Akwaba Beach (Barlay, France)
1990 - Touma (Barlay, France)
1994 - Nongo Village (Barlay, France)
1996 - Tatebola (Mory Kanté/Misslin, France)